Jérôme B. est jugé pour des agressions sexuelles et des viols incestueux sur l'une de ses trois filles. Il affirme qu'ensemble, ils formaient un couple et entretenaient ouvertement une relation amoureuse.
Me Mathilde Livenais a "du mal à envisager quelqu’un qui soit plus dangereux que cet homme." Le dossier que cette avocate s’apprête à plaider ce lundi devant la cour d’assises d’Angers révèle, selon elle, "un véritable fonctionnement clanique au sein d’une famille régie par un père violent et incestueux". Jérôme B., 40 ans, est accusé d’agressions sexuelles et viols sur sa fille aînée Estelle*, mineure au moment des faits reprochés.
Très tôt, la jeune fille et ses deux petites soeurs, nées en 2004 et 2005, alternent les placements en foyers et familles d’accueil, et les périodes chez leurs parents. Dès ses 5 ans, Estelle se confie à des professionnels de santé et évoque des "choses", que les services sociaux interprètent comme des abus sexuels, imposées par son père et son grand-père maternel.
Une plainte est déposée mais, sans éléments probants, la procédure est rapidement classée sans suite et en 2011, les trois filles retournent au domicile familial.
Enceinte à seulement 14 ans
L’Aide sociale à l’enfance (ASE) garde toutefois un œil sur cette famille aux relations émaillées de violences, vivant quasiment en autarcie. Les services sociaux s’inquiètent particulièrement quand ils constatent, en 2017, qu’Estelle est enceinte à seulement 14 ans.D’autant que l’adolescente n’identifie pas clairement le père: tantôt Estelle désigne un ancien petit-ami, tantôt son oncle âgé de 15 ans avec qui elle a eu des relations sexuelles.
L’ASE signale la situation au parquet de Saumur et mentionne le comportement de Jérôme B., le père de l'adolescente, "omniprésent auprès de sa fille qui ne sort jamais sans lui".
Le procureur de la République ordonne des prélèvements génétiques afin de déterminer qui est le père de la petite fille née le 9 mars 2017. Il s’avère que les ADN des deux jeunes hommes nommés par Estelle ne correspondent pas à celui de l’enfant.
Les gendarmes s’intéressent alors au père de la jeune maman mais quand ils le convoquent pour un prélèvement, ce dernier se volatilise soudainement. Pendant plus d’un an et demi, Jérôme B. reste introuvable. Jusqu’à ce 25 janvier 2019 où il est finalement découvert dans le grenier du domicile familial, caché sous des cartons.
Placé en garde à vue, l’homme, déjà connu de la justice, reconnaît être le père du bébé d’Estelle. Mais il affirme qu'il s'agit d'un enfant désiré. Jérôme B. raconte avoir entamé secrètement une relation amoureuse consentie avec sa fille quand elle avait 13 ans. Tous deux auraient même envisager de s'installer ensemble. Une version un temps confirmée par l’adolescente qui décrit Jérôme B. comme un "papa poule".
Omerta et emprise
"Jusqu’au jour où tout lui a explosé au visage. Elle a enfin pu commencer à se libérer de l’emprise que son père exerçait sur elle", souligne l’avocate de la plaignante.
Devant le juge d’instruction, Estelle parvient alors à exprimer ses souffrances. Elle décrit ses tentatives de suicides, des violences exercées par son père, des relations sexuelles imposées quasi-quotidiennement avec un visionnage forcé de vidéos pornographiques. Interrogé, le cercle familial affirme, par des déclarations qui ont parfois varié, n’être au courant de rien.
"Le père régente la famille et la soumet à une forme d’omerta, personne ne parle. Il fait régner la peur avec son caractère impulsif et violent", décrit Me Mathilde Livenais.
Le mis en cause "a lui-même revendiqué qu’il pouvait inspirer la crainte", précise l'ordonnance de mise en accusation. Son épouse le décrit comme un homme "menaçant", qu’elle redoute au point d’avoir accepté de le cacher dans le grenier à l’époque où il était en cavale.
Selon Me Livenais, "Jérôme B. exerce une pression qu’il ne veut pas relâcher même depuis la prison, dont il a d’ailleurs tenté de s’évader lors d’un transfert vers l’hôpital". Il refuse même d'abandonner les contacts avec Estelle à qui il a adressé de nombreux courriers. Des lettres dans lesquelles il évoque "une promesse qu’elle lui a faite et qu’elle doit tenir". Il la met également en garde concernant ses déclarations dans le cadre de l’enquête.
"Tourner la page"
La question de l'emprise sera au cœur des débats dans ce procès planifié sur deux journées, les 10 et 11 octobre. Me Olivier Rolland, l'avocat de Jérôme B., sent son client "très stressé, anxieux" à l'approche de l'échéance, mais prêt à répondre aux questions de la cour. Il conteste cette domination, cette mainmise qu'il aurait eu sur sa famille.
"Mon client maintient qu'il vivait en couple avec Estelle, elle occupait même le lit conjugal", explique Me Olivier Rolland.
"Mais il n'a jamais régné sur elle ni sur sa mère et ses soeurs. Estelle a d'ailleurs eu des petits-copains parallèlement à sa relation avec son père", insiste-t-il.
De son côté, Estelle reste profondément meurtrie par les faits qu’elle dénonce et a fait adopter l’enfant né de l'union incestueuse. Depuis le placement en détention provisoire de Jérôme B., elle est suivie sur le plan psychiatrique, a trouvé un emploi comme serveuse et a "même pu entamer une relation amoureuse avec un jeune homme, même si cela reste très compliqué pour elle", explique Me Mathilde Livenais.
Bien que fragile, la plaignante "attend le procès de son père avec impatience pour essayer enfin de tourner la page". Elle prévoit d'assister à l'audience mais témoignera en visioconférence, dans une pièce attenante à la salle principale. Me Livenais "ne veut pas qu’Estelle croise le regard de l’accusé, ça pourrait la faire replonger".
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